jeudi 30 septembre 2010

Les hommes en gris /4

2/ La promotion. Dans les écoles de commerce cette appellation regroupe le travail des attachés de presse et les investissements publicitaires.

Face à l'avalanche de livres publiés tous les ans (23000 en 1993, 50000 en 2003, 65000 en 2009), j'ai essayé de me faire une idée précise du nombre de titres – tous genres confondus - chroniqués dans les médias généralistes. J'ai pigé pendant deux ans (2006/07-2008/09 de septembre à juin dans les deux cas) dix titres de presse ; Libération, Le Monde, Le Figaro (édition du jeudi jour des suppléments Livres), l'Obs, Le Point, L'Express, Télérama, Les Inrockuptibles, Elle et RTL (la chronique de Bernard Lehut du dimanche matin). Le résultat est globalement le même sur les deux années ; +/- 3000 titres, avec en tête les auteurs / ouvrages qu'on retrouve dans l'ensemble des autres médias. Pierre Jourde est revenu sur ce phénomène sur son blog :

"Jérôme Garcin défend (…) la richesse de la rentrée littéraire. 700 romans, ce n'est pas trop, c'est merveilleux, entièrement d'accord avec lui. Ne jouons pas aux riches blasés. Mais le problème est l'accessibilité, la visibilité de ces romans. A quoi bon proposer 700 romans, si plus de 600 sont mort-nés, parce que le public en lira une poignée, parce que la presse accordera toute la place à un seul, ou à peu près ? Les rentrées littéraires sont lassantes, pour cela. Elles sont mêmes obscènes, dans l'écart qu'il y a entre ces 700 textes et ceux qui sont choisis par les journalistes. C'est toujours la même chose : un livre compte, aux yeux de la volaille critique, non parce que le texte est particulièrement important en lui-même, mais parce que les autres en parlent, ou parce qu'on pense qu'ils vont en parler. Alors il est urgent d'en parler soi-même. C'est ce qu'on appelle un «événement», ou un «phénomène de société». En langage journaliste, ces deux mots servent à désigner ce dont les journalistes parlent."

Tout ne se limite pas aux journaux et magazines que j'ai choisis, mais force est de constater que pour des livres qui s'adressent au public des grands lecteurs (10 livres par an), exister à l'ombre de ces dix titres reste extrêmement difficile. Et la télé ? Les règles sont les mêmes. Dans les émissions littéraires la place est principalement faite aux auteurs en haut de l'affiche, et les sujets polémiques sont abordés dans les émissions de divertissement (Ruquier etc.). En cette rentrée, difficile donc d'échapper à chaîne Houellebecq-d'Ormesson-Despentes-Nothomb-Gaudé-Claudel-Harrison-Ellis… en presse comme en télé.

Avec le développement des plateformes communautaires et des phantasmes qu'a fait naître le Web 2.0 en 2005, beaucoup ont caressé l'espoir de voir se développer une promotion qui se serait affranchie des circuits traditionnels pour mieux rebondir de Facebook en Myspace, de Linkdin en Twitter, de blog en blog. Mais la révolution attendue ne s'est pas produite. Les lignes du succès non pas bougé, elles délimitent toujours d'un côté les titres les plus visibles et de l'autre… tous les autres. Est-ce à dire qu'Internet ne sert à rien ? Non, bien entendu, mais aujourd'hui c'est un outil dont la puissance renforce un peu plus la notoriété des ouvrages déjà les mieux exposés. Les nouveaux sites sur lesquels les lecteurs mettent en ligne leur bibliothèque et donnent leur avis comme Myboox, lancé à grand renfort de publicité n'y changent rien, il suffit de regarder les titres ou les auteurs les mieux notés pour avoir une illustration de ce phénomène du succès qui va au succès.

3/ La distribution. Les choses ont évolué dans ce domaine depuis que les circuits de vente de livres se sont multipliés avec l'apparition des hypermarchés dans les années soixante, des rayons livres de la Fnac en 1974, l'arrivée des autres chaînes plus ou moins spécialisées et, depuis une dizaine d'année, d'Internet qui représente maintenant près de 10% des ventes avec un taux de croissance très rapide alors que les autres perdent du terrain. Malgré le développement de cette concurrence, la librairie indépendante représente encore 25% des ventes de livre et reste incontournable surtout pour la littérature et les références de fond de catalogue.

La multiplicité des points de vente (10 à 25 000 suivant les distributeurs*) et les techniques d'impression qui permettent d'imprimer à la demande, offrent maintenant la possibilité aux éditeurs d'affiner la présence de leurs ouvrages et de répondre à la moindre commande d'un client. Avec l'édition numérique le champ des possibles est encore plus vaste. Exemples de questions qu'un éditeur sera amené à se poser dans un futur proche : Faut-il publier des textes courts en électronique et les textes longs sur papier ? Doit-on arrêter la réimpression de certains titres pour ne les commercialiser que sous une forme numérique et les vendre à un prix inférieur à celui d'un poche ? "Mais ce n'est pas le travail d'un éditeur !" disent certains. Mais qui peut mieux que l'éditeur réfléchir sur la meilleure façon de proposer aux lecteurs des textes qu'il aura jugé bon de publier ? Son travail n'est-il pas d'accompagner un auteur dans son travail et d'en permettre la découverte par un public le plus large possible ?

4/ Le prix. Dans ce domaine la loi sur le prix unique à pacifié les relations entre distributeurs en évitant les guerres de prix dont les libraires auraient été les premières victimes collatérales. Il est maintenant inscrit dans les esprits que le prix d'un livre de littérature général en grand format tourne autour des 20 euros, et que celui d'un poche est compris entre 6 et 10 euros en fonction du nombre de page. Voir ici la décomposition du prix d'un livre. On peut penser qu'en fonction de la vitesse de son développement, le livre numérique sera le paramètre à l'aune duquel seront peut-être réajustées ces pratiques tarifaires.

Deux informations sont à garder à l'esprit. La première est mise en lumière dans l'étude Conference Entertainment 2010 de GfK qui fait ressortir que 83% des internautes interrogés ne connaissent pas la loi sur le prix unique. C'est une piste pour les libraires indépendants qui devraient se grouper pour travailler à mettre en place des actions de communication pour ramener le public qui les déserte.

La deuxième est une tendance de fond soulignée par Daniel Garcia dans son article "5 questions sur un marché qui flanche" publié dans le numéro du 11 juin de Livre Hebdo, dans lequel un libraire rappelait que de plus en plus fréquemment il entendait des clients dire qu'ils préfèrent attendre la sortie d'un titre en poche pour l'acheter. Ce phénomène qui entraîne une baisse du panier moyen (qui n'est pas compensée par une hausse de la fréquentation) est à surveiller avec attention car il est extrêmement difficile (impossible ?) de revenir sur une perception de prix cher dans l'esprit des consommateurs qui commence par différer ses achats pour profiter des séries moins chères (le phénomène est le même sur le marché du DVD) et qui finit par acheter moins.

À suivre.



*Le Livre, François Rouet, La Documentation Française

lundi 27 septembre 2010

Les hommes en gris /3


"Qu'est-ce que c'est l'cadastre ?"

Pour dissiper les fausses croyances et balayer les approximations tout en paraphrasant Gabin dans La Grande Illusion, il faut commencer par répondre à la question ; qu'est-ce que c'est le marketing ? Pour faire simple, il s'agit d'un ensemble de techniques qui permet de présenter au mieux ses produits sur le marché auquel ils sont destinés en prenant en compte quatre grands paramètres ; 1/ le produit 2/ sa promotion 3/ sa distribution 4/ son prix. Rien de scandaleux ni d'infamant. Bien vendre les livres de ses auteurs est le but de tout éditeur. Dans quelles quantités ? On peut penser que, sauf démarche philanthropique, équilibrer ses comptes reste le premier palier à atteindre. Après, tout dépend de la nature et des attentes des actionnaires. On y reviendra.

1/ Le produit. Le mot qui fâche est lâché. Pour beaucoup le terme produit pour désigner un livre choque encore. Il est pris ici dans le sens neutre d'un objet/service mis sur un marché. Mais là n'est pas le plus important. Ce qui l'est en revanche, c'est la nature du texte que l'éditeur va choisir de transformer en livre/produit. Avant cela, il faut comprendre que, contrairement aux secteurs industriels qui s'appuient essentiellement sur des études de marché avant de lancer la production de nouveaux produits/services, les éditeurs choisissent les œuvres/auteurs sur des critères essentiellement subjectifs. Certains choisissent de publier des textes d'auteurs inconnus directement en poche, d'autres de rééditer en grand format des textes déjà publiés. Certains vont se lancer dans une surenchère pour publier le nouveau roman d'un auteur à succès, d'autres encore vont choisir celui d'un auteur qui "n'a jamais rencontré son public". Certains sont généralistes, d'autres au contraire sont spécialisés dans la poésie, le polar, les ouvrages historiques… Pourquoi Actes Sud, éditeur généraliste au catalogue prestigieux, a décidé de lancer une collection de polars trente ans après sa création en 1978 ? Pourquoi en 2008 le Seuil décide de faire un pont d'or à Christine Angot alors publiée chez Flammarion ? Pourquoi Gide, éditeur chez Gallimard, refuse de publier Proust (« trop de duchesses ») ? Pourquoi François Guérif, fondateur de Rivages engage en 1986 l'avenir de sa collection sur un auteur inconnu (James Ellroy) refusé par tous les éditeurs de polars de la place de Paris ? Il y a autant de réponses qu'il y a de questions, et autant d'envies (littéraires et/ou de faire un coup) différentes qu'il y a d'éditeurs.

Bien sûr, même s'il n'y a pas d'étude sur les attentes du/des public/s (on n'attend pas ce qu'on ne connaît pas), un éditeur peut être tenté de "surfer" sur la vague du succès du moment mais, même avec le meilleur des flaires, cet exercice est particulièrement périlleux et les flops peuvent être aussi spectaculaires que douloureux.


À venir, Les hommes en gris /4

Jean Gabin La grande illusion, Jean Renoir

Librairie à Old Delhi, photo Gilles Lanier

Ecran/Libération

Sur le site de Libération, nolife, l'émission animée par Erwan Cario avec un spécial blogs BD. Intéressante mise au point sur l'avancée de la BD en ligne avec Yannick Lejeune, co-fondateur du festival blog/BD.

samedi 25 septembre 2010

Les hommes en gris /2

Oui mais…

Premièrement, les rapports littérature/argent ne sont pas nouveaux et non pas toujours été considérés comme posant des problèmes. Les livres sont publiés pour être vendus ce qui permet, à la base, aux auteurs d'être payés et aux éditeurs d'encaisser des revenus qu'ils sont libres de réinvestir dans le développement d'un catalogue s'ils le souhaitent. Idem en ce qui concerne "les choses du marketing" dont on trouve des traces (et quelles traces !) dès le début du XXème sous la conduite de Bernard Grasset, figure littéraire s'il en est, qui fut le premier à enoyer ses livres aux journalistes et à utiliser la presse et le cinéma pour y faire de la publicité, méthodes révolutionnaires à l'époque et déjà vilipendées par ses pairs.

De même, il ne viendrait à plus personne de revenir sur la grande idée marketing de la moitié du vingtième siècle, le lancement par Henri Filipacchi du livre de poche en 1953, format qui a permis le développement de la lecture auprès du plus grand nombre, et aux éditeurs d'en tirer des revenus substantiels. Et pourtant… Même Jérôme Lindon, fondateur des éditions de Minuit, grand artisan de la loi sur le prix unique et de la mise en place de l'ADELC, véritable statue du Commandeur du milieu de l'édition, a résisté (avant que de créer sa propre collection en 1980) à ce qu'il prenait pour : "une dépréciation de l’objet livre et par là-même une dévalorisation de la littérature." mais qui, aujourd'hui encore, permet à beaucoup d'éditeurs de tirer des profits qu'ils peuvent réinvestir dans le soutien de leurs auteurs, ou qui leur permet tout simplement de garder la tête hors de l'eau en attendant des jours meilleurs. Rappelons qu'en 2008 les poches représentaient 28,6% du nombre de livres vendus.

Deux exemples pour illustrer l'importance qu'a pris ce format dans l'économie d'un éditeur : Actes Sud, via sa filiale Babel, vient de mettre plus de 350 000 exemplaires (x10 €) du premier tome de la trilogie Millénium dans le commerce après avoir vendus près de 4 millions des trois tomes de la série en grand format… De son côté, Payot-Rivages a vendu plus de 150 000 exemplaires du roman Shutter Island en six mois, pour atteindre un cumul de 300 000 exemplaires (x8€) depuis sa sortie en poche.

À suivre...

Les hommes en gris /1


La faute aux hommes en gris

Dans ses éditoriaux consacrés au monde de l'édition, Jérôme Garcin déplore souvent l'emprise de plus en plus grande des gens du marketing pour regretter un temps où les choses de l'argent ne l'emportaient pas sur celles de la littérature. Dans sa rubrique Tendance publiée le 21 juillet 2005, il écrivait déjà : "Il fut un temps où les éditeurs proclamaient qu'ils allaient publier à la rentrée de beaux livres. Maintenant, ils annoncent qu'ils font de gros tirages." Il bouclait cette chronique par ce constat sans appel : "L'édition est passée de la politique des auteurs à la stratégie des piles. C'est vraiment une industrie."

La même année, dans un hommage qu'il rendait à Bernard Wallet le fondateur des éditions Verticales, il citait ce dernier qui avait déclaré dans une interview : "La logique financière prend dangereusement le pas sur l'exigence littéraire." Presque logiquement, dans le numéro de l'Obs du 2 septembre dernier, Jérôme Garcin repartait au combat en revenant sur la tristesse d'Isabelle Desesquelles à l'occasion de la parution de son nouveau roman "Fahrenheit 2010". Dans ce texte publié chez Stock, cette ex-libraire parle des méthodes du groupe qui a racheté la librairie dans laquelle elle travaillait pour la transformer en boutique de "fast selling", privilégiant les succès rapides et les pratiques hérités de la grande distribution au détriment des ouvrages plus difficiles et aux conseils que des libraires passionnés sont capables de prodiguer à une clientèle exigeante. (Voir également la chronique de Pierre Assouline.)

Si la défense de la littérature face à la menace d'une standardisation de l'offre est une cause qui mérite qu'on s'y emploie, il me semble qu'il serait plus utile de regarder le tableau avec un peu de recul plutôt que de se jeter sur le (présumé) coupable le plus voyant.

À suivre très prochainement.

jeudi 24 juin 2010

Danilo Boer pour Billboard



Visuels de la campagne de pub pour le magazine Billboard, campagne primée au festival de la pub à Cannes. Le DA est brésilien et s'appelle Danilo Boer

mercredi 23 juin 2010

Banalisation, le côté obscur de la force



Nouvelle illustration de la mutation du produit culturel en offre de service avec banalisation du concept d'œuvre à la clé. Dans cette opération de marketing la musique est présentée comme un bonus susceptible d'attirer le "jeune" à souscrire à un service bancaire. Dans cet exemple, pas de distinguo entre des genres ou des artistes, juste la "music gratuite" présentée comme un grand bazar dans lequel le "jeune" finira bien par trouver son bonheur. À noter également que la promotion indirecte de l'idée de gratuité n'aide pas à imposer le paiement comme un principe intangible à l'accès aux œuvres .

Nul doute qu'à court terme cette opération génère des revenus conséquents pour la major partenaire, mais nul doute également qu'elle ne participera pas à redonner l'envie de payer pour découvrir des œuvres.

Si, comme le résumait Dan O'Brien de Radiohead dans une interview pour le MIDEM à propos de la situation de la musique aujourd'hui : "it's an analog business model in a digital aera", il disait aussi que ce qui manquait le plus aujourd'hui à cette industrie est la "creativity". Pas sûr que c'est à ce type d'opération qu'il pensait.

Dan O'Brien pendant l'interview

mercredi 16 juin 2010

Libéré de la page, mais un livre tout de même.

J'ai retrouvé cet article de Randall Stross publié dans le New York Times en Janvier 2008. Il reste intéressant à plus d'un titre malgré sa date de parution ; pour la vision du livre et de la lecture qu'a l'auteur de cet article, mais également pour la déclaration de Steve Jobs sur l'intérêt qu'il portait (porte toujours ?) à la lecture. Et puis, décalage oblige, il est parfaitement d'actualité de ce côté ci de l'Atlantique où on entre seulement de plein pied dans le monde des tablettes et autres liseuses.

Les livres imprimés sont source de plaisirs qu'aucun appareil créé par un ingénieur en informatique ne peut égaler. La douce odeur d'un livre neuf, le plaisir de tourner les pages, la vue rassurante d'une étagère pleine de livres. Mais rien de tout ça n'explique que le livre ait résisté à la digitalisation des contenus culturels. C'est encore plus simple; les livres sont réellement transportables et pratiques à lire.

Construire une tablette électronique portable fut la partie la plus simple. Egaler la qualité du rendu de l'encre sur le papier prit plus de temps mais les résultats du rendu digital sont maintenant satisfaisants. Au final, les tablettes électroniques font jeu égal avec les livres traditionnels. Résultat, la numérisation des collections particulières sera une réalité dans un avenir proche.

La musique a montré la voie. Le passage à l'ère numérique d'un secteur se fait quand une application (software) rencontre le bon support (hardware). Le succès d'iTunes Music Store et de l'iPod est le parfait exemple d'une combinaison gagnante. Et comme l'a fait Apple dans la musique, nul doute qu'une société proposera la combinaison idéale pour les acheteurs de livres. Aujourd'hui cette société pourrait bien être Amazon.

Le Kindle est le premier lecteur électronique d'Amazon. Lancé en novembre 2007, il pèse 300gr, peut contenir 200 livres et permet également la lecture de quotidiens, magazines et blogs. Il utilise la technologie Elink qui permet l'affichage parfait du texte et qui ne consomme de l'énergie qu'aux changements de pages et non quand elles sont affichées. Sony qui lança son livre électronique en 2006 utilisait également cette technologie mais le Kindle bénéficie d'une fonction que ni Sony ni ses nombreux prédécesseurs n'ont jamais possédée: tous les ouvrages et autres contenus peuvent être téléchargés en WiFi.

Le Kindle est cher 399$ mais les stocks furent épuisés quelques heures après le début de sa commercialisation.

Steve Jobs, le patron d'Apple n'a rien à craindre du Kindle. Il ne viendrait à l'idée de personne de le considérer comme une menace pour l'iPod. Il affiche magnifiquement les textes et permet également d'écouter des fichiers MP3 grâce à sa prise pour brancher un casque audio bien qu'il n'ait pas été conçu pour naviguer dans une large collection de titres.

Mais quand on demanda à Steve Jobs, le patron d'Apple, son avis sur le Kindle, il répondit sur un ton quelque peu méprisant pour l'industrie du livre; "Peu importe qu'il soit bon ou mauvais puisque plus personne ne lit.40% des gens aux US lisent un livre ou moins par an." Déclara t-il.

Pour Steve Jobs, cette statistique funeste conduit inévitablement l'industrie du livre vers la catastrophe. Heureusement la réalité n'est pas aussi sombre qu'il le suggère.

En 2008, le secteur du livre a enregistré près de 15 Md $ de revenu aux US si on se réfère à l'étude publiée par The Book Industry Study Group. On peut aussi se demander pourquoi 408 millions de livres se sont vendus (aux US) en 2007 si plus personne ne lit ?

Une étude conduite en 2007 par Ipsos Public Affairs pour le compte de l'Associated Press, révèle que seulement 27% des américains n'ont pas lu un livre au cours de l'année écoulée. Pas si terrible que le suggère Steve Jobs, mais consternant pour le moins.

En fait, si on exclut les gens qui ne lisent pas, le nombre de livres lus était en moyenne de 20 grâce aux personnes qui lisent plus de 51 livres par an, population en augmentation de 8%.

En d'autres termes, si une part significative de la population ne lit pas, l'industrie du livre dans son ensemble profite du fait que certains lisent beaucoup.

Si même une partie de 15 Md$ semble trop insignifiante à Steve Jobs pour qu'il s'en occupe, il oublie qu'Apple n'a atteint sa taille actuelle que récemment.

A une époque pas si éloignée dans le temps, en 2001, avant l'iPod et l'iPhone, Apple n'occupait qu'une petite niche du marché de l'informatique sans réel succès grand public. Apple fut sévèrement frappé par la récession de 2001 et n'afficha cette année-là que 5,3 Md$ de revenu. Par coïncidence, c'est exactement les résultats déclarés par Barnes & Nobles (première chaîne de distribution spécialisée de livres aux US) pour l'année 2007.

Dans aucun des deux cas, les propriétaires de ces deux sociétés ne décidèrent de mettre la clé sous la porte.

Amazon ne communique pas les détails des profits générés par les ventes de livres mais le livre dans son ensemble reste son premier business. Un porte-parole de la société déclara que pour Amazon, les ventes de livres "ont augmenté chaque année depuis sa création".

Le monde du livre a toujours bénéficié d'un avantage invisible qui n'apparaît dans aucun compte d'exploitation, c'est le profond attachement que les éditeurs, les auteurs et les acheteurs les plus assidus portent aux livres eux-mêmes. En cela, les gros acheteurs ressemblent aux accros du Mac.

Cet objet que nous appelons communément livre va subir de profonds changements qui vont l'extraire de sa forme originelle. On ne peut pas prédire si le Kindle d'Amazon sera un succès sur le long terme, mais Amazon devra être reconnu comme celui qui, avec imagination, a redéfini son business d'origine en remplaçant l'industrie du livre par l'industrie de la lecture.

Randall Stross est professeur à la San Jose State University.

Article publié dans le New York Times le 27 janvier 2008.

mardi 15 juin 2010

Essai rapide du Cybook Opus de Bookeen

À l'heure où le débat entre liseuse et iPad (sur la première on ne peut que lire, l'autre est une tablette multi médias) fait "rage", je republie l'essai que j'avais fait en février 2009 de l'Opus de Bookeen, liseuse de poche à encre numérique.


Ses dimensions (15x10,5cm) en font un appareil à peine plus grand qu'un iPhone (11,5x 11,6cm). Autre comparaison possible, c'est un livre de poche en moins long, d'un centimètre d'épaisseur, et d'un poids de 150 gr (un petit steak ou une demie plaquette de beurre...).


Un bouton on/off et une prise pour une carte SD sur le dessus, une prise USB pour les chargements et recharger la batterie dessous, trois boutons ronds sous l'écran (un pour la navigation, un pour le menu, un autre pour les retours), deux sur le côté pour... la navigation également. Contrairement à son prédécesseur pas de prise pour un casque audio. Pas de connexion WiFi ou bluetooth.

Première constatation désagréable. À l'heure des écrans tactiles, des stylets et des claviers full AZERTY, le mode de navigation de l'Opus à un petit côté soviétique rapidement agaçant; cliquer sur un bouton, cliquer pour déplacer le curseur, cliquer pour sélectionner l'opération choisie, cliquer chiffre par chiffre pour chercher une page puis cliquer pour accéder à la page, puis... Et quand je dis cliquer, c'est cliquer.

Passer ce problème, une fois le texte sélectionné, le confort technique de lecture est total. Pas de reflet, pas de rétro éclairage, pas de fond de page trop blanc, trop lumineux. Même l'affichage des images en N&B passe très bien.


Le vrai problème c'est la taille de l'écran (100x75 ce qui est plus petit que celui de son prédécesseur le Gen3 122x91) car, sauf à afficher la même taille de caractère que celle des contrats d'assurance, il est impossible de faire tenir l'équivalent d'une page papier sur l'écran. Alors on clique.

Comme on peut utiliser l'Opus on le tenant verticalement ou horizontalement, (on change de sens en agitant l'appareil d'un coup sec du poignet) si on choisit une taille de caractère normale et le sens vertical, comme l'appareil ne gère pas les coupures de mots, on se retrouve avec des lignes pleines de trous. Alors on clique encore plus souvent.

Si on fait abstraction de ces problèmes, reste la question du confort de lecture. Je m'explique. Les constructeurs ont tellement chercher à optimiser la taille de l'écran et la surface de lecture par rapport à la taille de l'appareil, qu'on se retrouve avec le texte en bord de "page", quasi sans marge. On a l'impression d'avoir le texte dans les mains. Autre facteur déstabilisant, pas de vision de la page d'en face. Pour éliminer ce défaut visiblement plus déstabilisant qu'il n'y parait au premier abord, un constructeur travaille sur une tablette numérique double écran comme la DS.

Une fois l'Opus éteint, plusieurs questions m'assaillent;

1/ Alors que la convergence pousse les constructeurs à concevoir et commercialiser des appareils multi usages (l'iPhone en est aujourd'hui le meilleur exemple), quel est l'avenir des tablettes?

2/ A supposer que les usagers acceptent de promener deux appareils dont une tablette dans leur sac (comme on a un téléphone + un livre dans son sac), quelle taille d'écran est acceptable?

3/ A 249€ l'Opus, 299€ le Sony Reader eBook (229€ le premier iPhone), sachant que des versions nouvelles sortent tous les ans et que l'offre de titres tient plus du Goum de Moscou avant 89 que d'une librairie digne de ce nom, combien de temps faudra t-il pour qu'un nombre d'acheteurs soit conquis et fasse décoller le marché du livre numérique?

À mon avis, les poseurs d'étagères ont encore de beaux dimanches devant eux.

jeudi 10 juin 2010

Destruction pour les uns, création pour les autres 2/



À supposer que les prévisions d'Arnaud Nourry se confirment, le livre numérique devrait représenter 15% des ventes d'ouvrages dans cinq ans. Comme nous l'avons vu dans la note précédente, ces 15% s'ajouteront aux 10% (minimum) des ventes déjà réalisées par les boutiques en ligne. C'est donc une perte de 25% de leur part de marché que les libraires vont regarder filer vers des concurrents contre lesquels ils ne peuvent rien. Cette destruction de valeur se fera au profit des plateformes de vente de livres numériques, des fabricants de tablettes (qui pourront être les mêmes comme Apple en a déjà fait la démonstration avec son lecteur iPod et de sa boutique iTunes) et bien évidemment des Fournisseurs d'Accès à Internet.

On pourrait penser que, part un effet mécanique, la disparition des librairies trop fragiles renforce la position des plus vaillantes. Je ne le pense pas. À la marge peut être, mais pas plus. Il est plus à craindre que ces fermetures n'éloignent définitivement des clients des librairies qui se tourneront alors - pour ceux qui resteront lecteurs - vers les plateformes de vente en ligne sur lesquelles : "Le client qui ne sait pas vraiment ce qu'il cherche n'est pas assisté sur Internet comme il le serait dans un point de vente physique."*, "(…) la richesse de la diversité offerte n’engendre qu’un faible élargissement de la palette des choix effectifs, une fuite du consommateur face à l’ampleur des choix possibles"** et n'accentuent un peu plus le phénomène de "bestsellerisation" des ventes. N'oublions pas que >2% des 634000 références vendues en 2008 ont pesé 50,4% du CA…

L'autre danger auquel se trouveront rapidement confrontés libraires et éditeurs à mesure que la numérisation du livre se développera est celle de la banalisation de l'oeuvre, du livre/fichier alibi pour offre bancaire, de sa transformation en supplément d'âme pour offre de service de fabricants de produits informatiques et autres fournisseurs d'accès, sans oublier les marchands de lessive. L'intérêt affiché de la part d'Orange ou de Xavier Niel (Iliad/Free) pour participer à la recapitalisation du Monde doit nous rappeler l'intérêt vorace que les "tuyaux" ont toujours porté aux "contenus".

Combien de temps faudra t-il pour que le premier éditeur succombe aux chants des sirènes ?


*Un site web peut-il rivaliser avec un conseiller commercial ? Le journal du net (23/04/2009)

** Longue traîne : levier numérique de la diversité culturelle ? Pierre-Jean BENGHOZI et Françoise BENHAMOU

vendredi 4 juin 2010

Destruction pour les uns, création pour les autres 1/

Dans une interview donnée à l'Obs il y a une dizaine de jours, Arnaud Nourry estimait que "le numérique ne prendra pas plus de 15% du marché de l'édition dans les cinq ans qui viennent".

La chose la plus importante de cette déclaration est la reconnaissance que le livre numérique n'est pas envisagé comme un support qui génèrera des ventes additionnelles mais qui va transformer des lecteurs de livres en lecteurs de fichiers. Pas de jugement de ma part, seulement le constat qu'on parle bien de transfert de valeur d'un marché à un autre. Destruction pour les uns, création pour les autres.
Je m'explique. Le marché dont parle A. Nourry est celui de la vente de livres physiques, à l'origine vendus dans des boutiques, puis depuis une quinzaine d'années sur les plateformes de commerce en ligne qui pèse aujourd'hui +/- 10% des ventes de livres en France.

Même si on devait rester sur ces chiffres, c'est une perte de 25% de part de marché sur cinq ans que devront compenser les libraires. Sachant que la rentabilité d'une librairie est en moyenne de 1,4% de son CA*, (2% pour les librairies de première catégorie) il est facile d'imaginer l'ampleur du problème à venir.

Il faut bien imaginer que ce problème ne concerne pas que les libraires les plus fragiles, les éditeurs sont aussi concernés. Pour le comprendre, il faut tout d'abord admettre que le livre répond aux mêmes règles commerciales et promotionnelles que les produits des autres secteurs ; pour bien se vendre un produit doit être promu (créer l'envie) et visible (déclencher l'achat). Les livres des auteurs les plus connus occupent le devant des médias et les meilleurs emplacements des boutiques, tout comme les ouvrages au sujet porteur, au potentiel "assuré". CQFD.
Le problème est différent pour les ouvrages qui ne rentrent pas dans ces catégories, les ouvrages pour lesquels le temps, le bouche à oreille, le conseil d'un libraire sont primordiaux. C'est si, et seulement si, ces ouvrages sont soutenus par quelques prosélytes qu'ils trouveront peut-être un premier public qui petit à petit peu devenir plus nombreux.


Ce travail de repérage et de soutien est principalement fait par les libraires. Jérôme Lindon, l'avait expliqué dans une analyse qu'il avait faite des ventes de La Salle de Bain, à l'époque premier roman de Jean-Philippe Toussaint; pendant les premières semaines de vente, ce sont les libraires d'assortiment général qui assurent le lancement de l'ouvrage avant que les grands médias ne se mettent à assurer la promotion de ce livre, suivis ensuite par les grandes surfaces culturelles ou non.
Si ces libraires disparaissent ou n'ont plus les moyens de faire ce travail, c'est les éditeurs de littérature et d'essais qui en seront aussi les victimes.

Destructions pour les uns...

Photo: Mario Dondero 1959 : Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Robert Pinget, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute, Claude Ollier

jeudi 3 juin 2010

Vente de la Fnac, le plus intéressant reste à venir

(Première publication 29/11/2009)

La mise en vente de la Fnac n'a rien d'une surprise et la suite de l'histoire n'est intéressante que dans la mesure où elle va permettre aux autres acteurs de la distribution de produits culturels (éditeurs, concurrents) de repenser leur positionnement vis-à-vis de la première enseigne spécialisée de France.

La nature du futur repreneur ne changera pas grand chose à l'affaire. Qu'il s'agisse d'un fond d'investissement ou d'un groupe de distribution, l'objectif restera le même : la rentabilité de l'investissement et donc l'amélioration des résultats de l'enseigne. On peut déjà deviner sans trop de difficultés la nature des mesures qui seront mises en place: fermeture de magasins, économie d'échelle, mutualisation d'outils logistiques dans le cas d'un repreneur issu de la distribution, rationalisation des achats, réduction du poids des stocks…

Menaces pour les uns, opportunités pour les autres.

Ce train de mesures va porter un rude coup à l'image de spécialiste qui était encore celle de la Fnac à l'aube des années 2000 dans les domaines du disque, du livre et de la vidéo.

Rappelons qu'être spécialiste implique de remplir deux conditions sine qua non. La première est de proposer une offre large, la deuxième est de disposer d'un personnel qualifié capable de conseiller un client quel que soit l'objet de sa recherche. Deux items qui s'accordent mal avec une politique de rationalisation des achats/stocks et une politique salariale qui n'encourage déjà plus les vocations des experts.

Les gagnants

Sans aucun doute les concurrents de la Fnac peuvent être les grands gagnants de l'histoire, les Espaces Culturels Leclerc en tête. Avec ses 200 points de vente, il ne manque à ce regroupement que la mise en place d'un vraie politique marketing de l'offre pour s'inscrire un peu plus dans le paysage et proposer une vraie alternative aux éditeurs.

Les librairies indépendantes très spécialisées ou grands généralistes - comme Mollat à Bordeaux, Ombre Blanche à Toulouse – pourront eux aussi profiter de la période de "réajustement" que va traverser la Fnac.

Nul doute que dans le paysage qui se redessinera, le portail de la librairie dont on nous parle depuis cinq ans aurait été un atout majeur pour beaucoup de libraires.

Dans le disque aussi les indépendants spécialisés comme Harmonia Mundi (43 boutiques en France) auront le champ libre pour développer leurs points forts à travers des opérations de recrutement auprès des déçus de "la Fnac d'avant".

Des temps difficiles pour les autres

Nul doute que le nouveau propriétaire de l'enseigne, pour favoriser un développement des marchés porteurs, ne cherche à rationaliser un peu plus les achats (conditions commerciales et référencement) et le poids des stocks (quitte à renvoyer les clients sur fnac.com) sur les marchés "secondaires". Déjà confrontés à l'effondrement de leur marché, les éditeurs du disque (surtout les plus petits) peuvent se préparer à de nouveaux temps difficiles, sauf à avoir mis en place des dispositifs de promotion couplés à des outils de vente alternatifs.

Pour les éditeurs de livres, le grand nombre de points de vente permettra d'amortir la mise en place d'une politique commerciale plus rigide de la Fnac.

Pour la vidéo, on peut parier sur une accélération de la réduction des linéaires de fond au profit d'une politique de coups commerciaux (10 DVD pour 50 €...).

Scénario probable une fois le rachat effectué

1/ fermeture de dix à vingt magasins sur trois ans

2/ quelques magasins "vitrines" avec offre large et pôle d'expertise

3/ dans les magasins restants, réduction des linéaires des produits culturels et gestion du fond principalement basée sur des opérations commerciales ponctuelles.

Plus que jamais, dans un marché dont les ventes se concentrent tous les jours un peu plus sur un petit nombre de références, la question de l'exploitation du back catalogue va devenir cruciale pour les éditeurs de tous les secteurs.

Et les clients dans tout ça?

Fnac, Virgin, Leclerc, Cultura... jusqu'à quand ? Dernier épisode


Des clics dans le mortier

Avec cette formule, on comprend pourquoi Amazon a perforé les barrières de la distribution physique des produits culturels. Les valeurs TD et EP étant annulées (on ne se déplace plus et les comparateurs permettent de trouver les prix les moins chers et des produits d'occasion), les seuls critères déterminants restent le choix QO (quasi illimité sur Internet) et le conseil QC, même s'il se résume pour le moment à des données statistiques du genre ceux qui ont acheté ont également acheté.

Déjà bousculés par ces pure players on line et par la violence de la crise du disque et de la vidéo, la Fnac et Virgin ont fait le choix d'une rationalisation drastique de leur offre, choix qui les a fait plonger dans une spirale infernale ;

1. Puisque je vends moins qu'avant, je réduis mon offre et mes stocks pour maintenir mes coûts d'exploitation
2. Je concentre de plus en plus mon offre sur les produits à forte rotation
3. Mon offre se banalise
4. Je perds des clients qui trouvent sur Internet ce qu'ils ne trouvent plus dans mes magasins
5. Des spécialistes (Leclerc, Cultura) se développent en périphérie
6. Je suis obligé de m'allier avec une enseigne de grande distribution pour lutter contre cette nouvelle concurrence*
7. Je développe des offres nouvelles (occasion, merchandising, papeterie) qui compensent une partie de la baisse de mon activité mais qui m'éloigne de plus en plus de mon modèle d'origine, celui qui a fait ma force
8. Ma rentabilité étant particulièrement fragile, mes actionnaires me vendront bientôt (tant qu'il est encore temps)
9. Mes nouveaux actionnaires ne garderont pas tous mes points de vente**
10. Il va y avoir des surfaces commerciales en centre ville à récupérer dans les prochaines années.

*Accord de partenariat entre la Fnac et Système U passé en 2007 résilié depuis
**La première version de cette note a été écrite en juillet 2007

Fnac, Virgin, Leclerc, Cultura... jusqu'à quand ? Deuxième épisode

Une offre, des offres, un conseil, des conseils

Dans ce paysage concurrentiel, les enseignes spécialisées et plus particulièrement celles restées au centre des villes, se doivent de répondre à quelques questions simples ;
• Mon offre (largeur et profondeur) correspond-elle aux attentes d'une clientèle de spécialistes (qui recherche plus que des best sellers) ?
• Est-elle suffisamment différente de celle de mes principaux concurrents (spécialisés ou généralistes) ?
• Mes vendeurs sont-ils dans la capacité (temps, formation) de renseigner et conseiller les clients ?

Ces questions peuvent être formulées sous la forme d'une équation dont les données seraient les suivantes :

CE (choix d'une enseigne) = QO (qualité de l'offre) * QC (qualité du conseil) / TD (temps déplacement) * EP (écart prix).

Explications.
Si on accorde à chaque critère une valeur de 1 à 5 suivant son importance dans l'esprit d'un consommateur (plus le critère est important plus on va vers 5), on s'aperçoit qu'un résultat négatif nous rapproche du modèle des hypermarchés (prix/ parking), un résultat positif nous rapprochant du modèle d'un spécialiste (choix/ conseil).

Exemple.
J'accorde la plus grande importance au choix QO = 5. Le conseil est un plus précieux mais pas fondamental QC = 3. Mon achat est un achat plaisir, j'aime chercher et me déplacer en centre ville TD = 2. Le prix n'est pas un critère déterminant EP = 2.
• Le résultat est > 0
• Mon profil est celui d'un client qui fréquente les enseignes spécialisées, les boutiques d'imports, les librairies... des magasins où la garantie d'une offre sélectionnée et un conseil de qualité l'emportent sur les contraintes liées aux déplacements et aux prix.

Autre exemple.
J'achète les best sellers du moment, un choix minimum me suffit, QO = 2. Pas besoin de conseil pour acheter produits présentés en tête de gondole QC = 1. Je ne veux pas perdre de temps à me garer TD = 4. Je profite au maximum des promotions et prix les plus bas, EP = 5.
• Le résultat est <>

Cette formule explique, simplement, le choix des enseignes spécialisées de la part d'un public pour lequel le critère numéro un reste la qualité de l'offre et la possibilité de découvrir des produits auquel il ne pensait pas en partant de chez lui.
Ce type de clientèle a ses propres réseaux d'information, est plus sensible au bouche-à-oreille qu'aux pub télé, et est prêt à payer plus cher des produits (des disques vinyle, des CD ou DVD en import, des séries limitées…) que les enseignes généralistes ne lui proposent pas.

Cette formule explique également l'importance de la loi sur le prix unique du livre (loi Lang 1981) dans le maintien des libraires de proximité. L'écart prix autorisé étant limité à 5% du prix public, on peut limiter la valeur de EP à 1. Le nombre de "vraies librairies* " étant estimé, en France à, environ, 800 la valeur de TD est également proche de 1. Le résultat est donc largement positif pour autant que le libraire propose une offre et un conseil susceptible de satisfaire les appétits d'une clientèle gourmande.

Et dans ce paysage bien rangé à débarqué Amazon et le commerce en ligne...

À suivre.

*Le livre, mutations d'une industrie culturelle. François Rouet. La documentation Française

mercredi 2 juin 2010

L'iPad n'est pas une révolution


À l'heure des hypothèses en tout genre sur la capacité des diffuseurs/plateformes numériques à convertir X milliers/millions de personnes à la lecture sur tablette, et à celle des éditeurs à trouver des modèles économiques rentables sans détruire le circuit des libraires indépendants, je commencerais par revenir sur quelques chiffres concernant la lecture et l'achat de livres en France.

- 1 Français sur 2 n'achète jamais de livre, et 11% seulement en achètent plus d'un par mois. (Population de 15 ans et plus, soit +/- 52 millions de personnes)

- 70% des français (15 ans et +) ont lu au moins 1 livre au cours des 12 derniers mois, ils étaient 79% en 2005. 14% ont lu entre 10 et 19 livres, ils étaient 25% à en avoir lu entre 15 et 24 en 2005 (même en changeant la fourchette le résultat est écrasant).

- Sur les 634 000 titres différents vendus en 2009, les ventes des 10 000 premiers (1,5%) pèsent 50,4% du CA total…

- Les trente premiers titres totalisent 10 000 000 d'exemplaires vendus.

- En 2008, le livre de poche représente 28,6% des titres vendus et 14,9% du chiffre d'affaires des éditeurs.

- Les ventes sur les librairies en ligne atteignent 10% et Amazon est devenu le premier client chez de nombreux éditeurs, la librairie américaine ayant chez certains fait des progressions de plus de 50% d'une année sur l'autre.

En résumé ;

- De moins en moins de gens achètent plus d'un livre par mois

- De moins en moins de gens lisent des livres

- Les ventes se concentrent de plus en plus sur un petit nombre de titres très médiatisés.

- Le livre de poche (prix) attire tous les ans plus de lecteurs.

- Les libraires sont très exposés (les librairies de 2ème niveau on reculé dans tous les segments de marché sur le premier trimestre 2010)

Dans ce contexte, penser qu'un appareil moyennement conçu pour la lecture longue (rétro éclairage, pas de gestion des coupures de mots, applications diverses et variées), vendu à +/- 500€, et qui ne permet l'accès qu'à une poignée d'ouvrages va révolutionner le marché du livre et la pratique de la lecture me paraît quelque peut hors de sujet.

Si donc urgence il y a, c'est comme le rappelle Christine Ferrand dans son éditorial de Livres Hebdo du 21 mai : "Il est urgent de se mobiliser pour relancer la lecture et faire revenir nos concitoyens dans les librairies et les bibliothèques."

En y réfléchissant, je pense qu'il faut penser le problème en le séparant en deux sujets. Le premier est celui de l'offre, le deuxième celui des canaux de distribution.

La question de la définition du livre numérique est fondamentale, en France au moins. Qu'est-ce qu'un livre numérique ? Un livre papier numérisé ou un texte augmenté de e-contenus ? Cette question est centrale puisqu'elle appellera automatiquement la question du prix de vente et celle du taux de TVA qui sera appliqué. Rappelons que la TVA du livre est à 5,5% celle des logiciels, DVD, CD de 19,6%.

Cette agitation autour de ces histoires de tablettes permet néanmoins de remettre en avant la question de la lecture, du livre, du livre numérique et d'essayer d'envisager les premières conséquences de l'arrivée de celui-ci sur le marché français.

virgin, fnac, cultura, leclerc... jusqu'à quand ?



Au centre et à la périphérie

Il fut un temps où le succès d'un commerce reposait sur trois critères :

  • 1/ un emplacement
  • 2/ un emplacement
  • 3/ un emplacement


Puis, les hypermarchés ont imposé de nouveaux critères de succès :

  • 1/ un parking
  • 2/ une offre large en libre service
  • 3/ des prix attractifs


Ce nouveau modèle a déplacé le centre de gravité de l'activité commerciale du centre vers la périphérie des villes.

Depuis, pour résister à cette concurrence, les commerces du centre doivent constamment accorder la plus grande attention aux critères de prix, de choix, d'accueil et de conseil.


Les produits culturels

Si ce constat concerne les commerces de toute nature, les enseignes spécialisées dans le commerce des produits culturels doivent être particulièrement vigilantes sur le bon équilibre entre ces différents critères qui conditionnent la nature de leur clientèle et ses attentes.

Pour trois raisons.
1. Les produits culturels ne sont pas des produits de première nécessité et ne sont pas substituables. Je n'ai pas BESOIN du disque Kind of Blue
de Miles Davis, mais je ne me contenterai pas pour autant du dernier CD de Mylène Farmer si je ne le trouve pas. C'est donc l'enseigne qui peut me proposer l'offre la plus large par rapport à mes attentes qui aura ma préférence.
Dans ce cas, les critères de prix et de facilité d'accès sont de moindre importance face à la promesse de trouver le produit recherché.

2. Les enseignes spécialisées se concurrencent entre elles, mais elles subissent aussi la concurrence des enseignes généralistes (les grandes surfaces alimentaires) où les produits culturels sont alors considérés comme des produits d'appel. L'offre est moins riche mais suffisante pour satisfaire une clientèle consommatrice de best-sellers ou de produits placés sous les feux de l'actualité du moment.
Dans ce cas, c'est l'accès facile au lieu de vente, l'offre limitée (facilité de choix) et le prix qui sont les critères les plus importants.

3. À cette concurrence classique s'est ajoutée, en périphérie, celle d'enseignes spécialisées comme Cultura (une cinquantaine de magasins) ou les Espace Culturel Leclerc (près de deux cents). Avec des emplacements dans les mêmes zones commerciales que les enseignes alimentaires, mais avec des offres plus larges, ces nouveaux spécialistes déplacent une clientèle plus exigeante en matière d'offre mais aussi plus regardante sur les prix et le service (parking, proximité de l'alimentaire).

(À suivre)

mardi 26 janvier 2010

Amazon fixe les prix

A ceux qui pensent encore que la loi Lang sur le prix unique du livre est un rempart infranchissable, la proposition faite par Amazon aux auteurs doit sonner comme un coup de canon à leurs oreilles. Il suffit de changer de support et la loi devient caduque. Bien sûr, le poids du livre numérique est quasiment nul en France dans le CA des éditeurs et les libraires ont bien d'autres soucis (prix des baux, concurrence des plates-formes de vente en ligne...). Il l'était aussi dans le CA des éditeurs de disques avant qu'Apple ne s'invite sur le marché.

Plus largement, on voit bien comment le pouvoir de fixation des prix peut rapidement passer des mains de l'éditeur à celui des fabricants de supports et plates-formes de distribution. Cette nouvelle donne déstabilise les acteurs en place et les pratiques en cours. Pourquoi pas. Encore faut-il s'y préparer pour éviter les catastrophes industrielles.

mercredi 20 janvier 2010


Deuxième partie de l'itw de dan o'brien avec cette fois l'accent mis sur la relation avec les fans. Sur le P2P & file-sharing : "it's the hot potatoe of the moment isn't it ?" . Sur l'industrie du disque : "si on en est là aujourd'hui c'est parce que l'industrie du disque a trainé les pieds avant d'aborder le numérique", ou encore "it's an analog business model in a digital aera".

vendredi 8 janvier 2010

Dan O'brien et l'expérience In Rainbows de Radiohead


Dan O'Brien, le guitariste de Radiohead revient sur les raisons qui a poussé le groupe à commercialiser/offrir lui-même l'album In Rainbows.

À voir sur le site du Midem en anglais non sous titré.