mercredi 16 juin 2010

Libéré de la page, mais un livre tout de même.

J'ai retrouvé cet article de Randall Stross publié dans le New York Times en Janvier 2008. Il reste intéressant à plus d'un titre malgré sa date de parution ; pour la vision du livre et de la lecture qu'a l'auteur de cet article, mais également pour la déclaration de Steve Jobs sur l'intérêt qu'il portait (porte toujours ?) à la lecture. Et puis, décalage oblige, il est parfaitement d'actualité de ce côté ci de l'Atlantique où on entre seulement de plein pied dans le monde des tablettes et autres liseuses.

Les livres imprimés sont source de plaisirs qu'aucun appareil créé par un ingénieur en informatique ne peut égaler. La douce odeur d'un livre neuf, le plaisir de tourner les pages, la vue rassurante d'une étagère pleine de livres. Mais rien de tout ça n'explique que le livre ait résisté à la digitalisation des contenus culturels. C'est encore plus simple; les livres sont réellement transportables et pratiques à lire.

Construire une tablette électronique portable fut la partie la plus simple. Egaler la qualité du rendu de l'encre sur le papier prit plus de temps mais les résultats du rendu digital sont maintenant satisfaisants. Au final, les tablettes électroniques font jeu égal avec les livres traditionnels. Résultat, la numérisation des collections particulières sera une réalité dans un avenir proche.

La musique a montré la voie. Le passage à l'ère numérique d'un secteur se fait quand une application (software) rencontre le bon support (hardware). Le succès d'iTunes Music Store et de l'iPod est le parfait exemple d'une combinaison gagnante. Et comme l'a fait Apple dans la musique, nul doute qu'une société proposera la combinaison idéale pour les acheteurs de livres. Aujourd'hui cette société pourrait bien être Amazon.

Le Kindle est le premier lecteur électronique d'Amazon. Lancé en novembre 2007, il pèse 300gr, peut contenir 200 livres et permet également la lecture de quotidiens, magazines et blogs. Il utilise la technologie Elink qui permet l'affichage parfait du texte et qui ne consomme de l'énergie qu'aux changements de pages et non quand elles sont affichées. Sony qui lança son livre électronique en 2006 utilisait également cette technologie mais le Kindle bénéficie d'une fonction que ni Sony ni ses nombreux prédécesseurs n'ont jamais possédée: tous les ouvrages et autres contenus peuvent être téléchargés en WiFi.

Le Kindle est cher 399$ mais les stocks furent épuisés quelques heures après le début de sa commercialisation.

Steve Jobs, le patron d'Apple n'a rien à craindre du Kindle. Il ne viendrait à l'idée de personne de le considérer comme une menace pour l'iPod. Il affiche magnifiquement les textes et permet également d'écouter des fichiers MP3 grâce à sa prise pour brancher un casque audio bien qu'il n'ait pas été conçu pour naviguer dans une large collection de titres.

Mais quand on demanda à Steve Jobs, le patron d'Apple, son avis sur le Kindle, il répondit sur un ton quelque peu méprisant pour l'industrie du livre; "Peu importe qu'il soit bon ou mauvais puisque plus personne ne lit.40% des gens aux US lisent un livre ou moins par an." Déclara t-il.

Pour Steve Jobs, cette statistique funeste conduit inévitablement l'industrie du livre vers la catastrophe. Heureusement la réalité n'est pas aussi sombre qu'il le suggère.

En 2008, le secteur du livre a enregistré près de 15 Md $ de revenu aux US si on se réfère à l'étude publiée par The Book Industry Study Group. On peut aussi se demander pourquoi 408 millions de livres se sont vendus (aux US) en 2007 si plus personne ne lit ?

Une étude conduite en 2007 par Ipsos Public Affairs pour le compte de l'Associated Press, révèle que seulement 27% des américains n'ont pas lu un livre au cours de l'année écoulée. Pas si terrible que le suggère Steve Jobs, mais consternant pour le moins.

En fait, si on exclut les gens qui ne lisent pas, le nombre de livres lus était en moyenne de 20 grâce aux personnes qui lisent plus de 51 livres par an, population en augmentation de 8%.

En d'autres termes, si une part significative de la population ne lit pas, l'industrie du livre dans son ensemble profite du fait que certains lisent beaucoup.

Si même une partie de 15 Md$ semble trop insignifiante à Steve Jobs pour qu'il s'en occupe, il oublie qu'Apple n'a atteint sa taille actuelle que récemment.

A une époque pas si éloignée dans le temps, en 2001, avant l'iPod et l'iPhone, Apple n'occupait qu'une petite niche du marché de l'informatique sans réel succès grand public. Apple fut sévèrement frappé par la récession de 2001 et n'afficha cette année-là que 5,3 Md$ de revenu. Par coïncidence, c'est exactement les résultats déclarés par Barnes & Nobles (première chaîne de distribution spécialisée de livres aux US) pour l'année 2007.

Dans aucun des deux cas, les propriétaires de ces deux sociétés ne décidèrent de mettre la clé sous la porte.

Amazon ne communique pas les détails des profits générés par les ventes de livres mais le livre dans son ensemble reste son premier business. Un porte-parole de la société déclara que pour Amazon, les ventes de livres "ont augmenté chaque année depuis sa création".

Le monde du livre a toujours bénéficié d'un avantage invisible qui n'apparaît dans aucun compte d'exploitation, c'est le profond attachement que les éditeurs, les auteurs et les acheteurs les plus assidus portent aux livres eux-mêmes. En cela, les gros acheteurs ressemblent aux accros du Mac.

Cet objet que nous appelons communément livre va subir de profonds changements qui vont l'extraire de sa forme originelle. On ne peut pas prédire si le Kindle d'Amazon sera un succès sur le long terme, mais Amazon devra être reconnu comme celui qui, avec imagination, a redéfini son business d'origine en remplaçant l'industrie du livre par l'industrie de la lecture.

Randall Stross est professeur à la San Jose State University.

Article publié dans le New York Times le 27 janvier 2008.

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