vendredi 4 juin 2010

Destruction pour les uns, création pour les autres 1/

Dans une interview donnée à l'Obs il y a une dizaine de jours, Arnaud Nourry estimait que "le numérique ne prendra pas plus de 15% du marché de l'édition dans les cinq ans qui viennent".

La chose la plus importante de cette déclaration est la reconnaissance que le livre numérique n'est pas envisagé comme un support qui génèrera des ventes additionnelles mais qui va transformer des lecteurs de livres en lecteurs de fichiers. Pas de jugement de ma part, seulement le constat qu'on parle bien de transfert de valeur d'un marché à un autre. Destruction pour les uns, création pour les autres.
Je m'explique. Le marché dont parle A. Nourry est celui de la vente de livres physiques, à l'origine vendus dans des boutiques, puis depuis une quinzaine d'années sur les plateformes de commerce en ligne qui pèse aujourd'hui +/- 10% des ventes de livres en France.

Même si on devait rester sur ces chiffres, c'est une perte de 25% de part de marché sur cinq ans que devront compenser les libraires. Sachant que la rentabilité d'une librairie est en moyenne de 1,4% de son CA*, (2% pour les librairies de première catégorie) il est facile d'imaginer l'ampleur du problème à venir.

Il faut bien imaginer que ce problème ne concerne pas que les libraires les plus fragiles, les éditeurs sont aussi concernés. Pour le comprendre, il faut tout d'abord admettre que le livre répond aux mêmes règles commerciales et promotionnelles que les produits des autres secteurs ; pour bien se vendre un produit doit être promu (créer l'envie) et visible (déclencher l'achat). Les livres des auteurs les plus connus occupent le devant des médias et les meilleurs emplacements des boutiques, tout comme les ouvrages au sujet porteur, au potentiel "assuré". CQFD.
Le problème est différent pour les ouvrages qui ne rentrent pas dans ces catégories, les ouvrages pour lesquels le temps, le bouche à oreille, le conseil d'un libraire sont primordiaux. C'est si, et seulement si, ces ouvrages sont soutenus par quelques prosélytes qu'ils trouveront peut-être un premier public qui petit à petit peu devenir plus nombreux.


Ce travail de repérage et de soutien est principalement fait par les libraires. Jérôme Lindon, l'avait expliqué dans une analyse qu'il avait faite des ventes de La Salle de Bain, à l'époque premier roman de Jean-Philippe Toussaint; pendant les premières semaines de vente, ce sont les libraires d'assortiment général qui assurent le lancement de l'ouvrage avant que les grands médias ne se mettent à assurer la promotion de ce livre, suivis ensuite par les grandes surfaces culturelles ou non.
Si ces libraires disparaissent ou n'ont plus les moyens de faire ce travail, c'est les éditeurs de littérature et d'essais qui en seront aussi les victimes.

Destructions pour les uns...

Photo: Mario Dondero 1959 : Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Robert Pinget, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute, Claude Ollier

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