jeudi 21 mars 2013

Frédéric Roux ou Thomas Hauser ?


La fascination qu’exerce la boxe provoque parfois des aveuglements. Ainsi les jurés du prix France-Culture/Télérama viennent-ils de décerner le prix 2013 du meilleur roman à Alias Ali de Frédéric Roux publié chez Fayard, sans s’apercevoir que ce livre est une « adaptation » pour le moins fidèle de Muhammad Ali, His Life and Times un ouvrage sorti aux Etats-Unis en 1991 sous la plume de Thomas Hauser, romancier et spécialiste de boxe.

Sorti en janvier, le roman de Frédéric Roux est un portrait de Muhammad Ali (Cassius Clay) de plus de 600 pages qui va de son enfance à sa retraite des rings en passant par sa conversion à l’islam. La particularité de ce portrait est qu’il est composé d’une multitude de déclarations et citations des membres de sa famille, ses entraineurs, adversaires, journalistes, personnalités politiques, écrivains… Au milieu de ces quelques 600 pages de citations, à cinq reprises Frédéric Roux se glisse dans la peau d’un personnage (sa mère, Sonny Liston, Sonji sa première épouse, Bundini son âme damnée, Lonie son épouse actuelle) pour imaginer un monologue intérieur dont le sujet est bien entendu Muhammad Ali. L’auteur a aussi glissé quelques déclarations de personnages fictifs. Mais aucune information sur l’origine des citations ni sur leurs auteurs supposés ne permet d’y retrouver ses petits, la part du réel et celle de la fiction.
L’amateur de boxe que je suis se rappelle alors qu’il a dans sa bibliothèque un ouvrage construit exactement sur le même modèle, Muhammad Ali, His Life and Times un ouvrage sorti aux Etats-Unis en 1991 chez Simon & Schuster sous la plume de Thomas Hauser. Sur le moment je pense même que le Frédéric Roux était une traduction de l’ouvrage de Thomas Hauser.
Intrigué je commence donc une lecture du Frédéric Roux le Thomas Hauser sur les genoux : quasiment toutes les citations du Alias Ali de Frédéric Roux sont dans le Hauser. Certes, retaillées (les citations du Hauser sont longues, celles du Roux très courtes), parfois replacées dans la bouche d’un personnage fictif… En fin de compte, le contenu du « roman » de Frédéric Roux est au trois quarts dans le Thomas Hauser - toujours disponible à la vente. Sans parler, pour faire bon poids, de citations que l’on retrouve dans Night Train le livre que Nick Tosches a consacré  Sonny Liston.
Pour être précis, j’ai noté le plus scrupuleusement possible les « parties communes » aux deux ouvrages (voir document ci-dessous). A gauche les personnalités citées, le numéro de la page dans le Frédéric Roux, et dans la colonne de droite (TH) la correspondance dans le Thomas Hauser. Il est intéressant de noter que même l’ordre est respecté.


Si certains « emprunts » sont normaux (mais peut-on encore parler ici de simples emprunts ?), la moindre des choses est de citer ses sources. Il est vrai que dans ce cas précis, cela augmenterait considérablement le nombre de pages de l’ouvrage…

J’ai arrêté l’exercice à la page 240 (sur +/- 600) du Frédéric Roux. Mais en piochant au hasard dans le restant du livre, la fête continue.

1 commentaire:

  1. Gilles Lanier,

    Il m'étonne que les objections que vous me faites ne m'aient pas déjà été adressées.
    Ce que vous mettez en cause c'est le principe même du livre qui est constitué (principalement mais pas seulement) du montage de témoignages sur Ali. Ce principe vous gêne, je peux le comprendre.
    J'ai délibérément choisi de ne pas faire suivre le texte d'une bibliographie (qui aurait compté plusieurs centaines de références) ni même d'un index. Ce choix, je l'ai fait pour ne pas alourdir un texte déjà long et ne pas gêner la lecture. On peut déontologiquement le contester, mais c'est le mien.
    Pour ce qui est du Thomas Hauser, bien sûr que je m'en suis servi ("Evidemment, j'ai essayé pour l'essentiel de m'appuyer sur les témoins les plus fiables : Thomas Hauser bien sûr à qui j'ai emprunté beaucoup, David Remnick, évidemment, mais je me suis aussi appuyé sur Jack Cashill, Mark Kram et Nick Tosches, nettement moins convaincus de la "sainteté" d'Ali", entretien in Le Matricule des anges, février 2013).
    Pour savoir si Alias Ali est une "adaptation" du travail de Hauser, il faudrait comparer (en retranchant dans le Hauser tout ce qui est repris d'entretiens antérieurs, on est, en tous les cas, assez loin des trois-quart que vous avancez) avec ce que j'ai "adapté" de Remnick, Cashill, Kram, Tosches, mais aussi de Mailer, Thompson, Bingham, Wallace, Brunt, Bockris, Olsen, Capouya, Marqusee, Oates etc. Vous m'avouerez que, dans la mesure où l'on condamne le principe, ce serait un travail d'érudition un peu vain.
    Je plaiderai, pour ma part, la récidive, en effet à peu près tous mes livres utilisent (plus ou moins radicalement) ce principe que je suis, d'ailleurs, loin d'être le premier à avoir utilisé.
    En droit anglo-saxon, ce livre serait cent fois condamné, faut-il se réjouir que le droit français soit différent, je vous laisse juge. Je pense que la différence essentielle entre Alias Ali et Hauser et alli c'est qu'il s'agit d'un projet littéraire fondamentalement différent d'un projet documentaire.
    Pour terminer, puis-je vous faire remarquer que vous faites état d'un monologue d'Odessa Clay qui n'existe pas.
    Bien à vous.

    Frédéric Roux

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